Le Congrès du PS s'ouvre, la gauche gouverne, des mesures sont prises mais le Capital résiste. En ce début de mandat il est bon de poser la problématique, d'énoncer l'origine des difficultés à combattre et les grands Enjeux.
Le niveau Européen est incontournable.
L'intervention de Ségolène Royal permet de prendre toute la mesure de l'action du gouvernement
Intervention de Ségolène Royal
Congrès du Parti Socialiste - Toulouse, le 26 octobre 2012
L’attribution du prix Nobel à l’Union européenne : certes un hommage pour le passé, mais surtout un appel pour l’avenir. L’appel est lancé aux gouvernants de l’Europe d’aujourd’hui pour qu’ils soient conscients qu’un sursaut est impérieux.
La sortie de la crise de la zone euro doit être accélérée enfin, en mettant en place l’union bancaire et en redéfinissant, notre objectif de civilisation :
- pour les pères fondateurs : réussir la paix, au lendemain d’un carnage,
- pour nous : apporter le bien être à nos peuples,
- l’égalité des possibles à nos enfants,
- construire l’ordre social juste et international juste ;
- que chacun trouve son espace pour construire sa vie en respectant les autres.
Comment ramener la croissance ?
Il y a deux leviers. Le premier, c’est la confiance a réaffirmé François Hollande la semaine dernière dans un entretien aux grands quotidiens européens.
Le second levier, c’est de mettre en cohérence la politique économique européenne. Nous avons défini un pacte de croissance. Mettons-le en œuvre.
Cent vingt milliards d’euros, certains diront : c’est trop peu. Mais ce qui compte, c’est que ces sommes soient dépensées vite et bien. Le budget européen est aussi un élément de stimulation de l’économie. Notamment à travers les fonds structurels.
Nous pouvons aller plus loin en mobilisant des ressources supplémentaires. La taxe sur les transactions financières va faire l’objet d’une coopération renforcée, onze pays ont donné leur accord.
Son produit pourrait être pour une part affecté à des projets d’investissement et pour une autre à un fonds de formation pour les jeunes.
C’est le rôle de la France que de dire inlassablement à nos partenaires que l’austérité n’est pas une fatalité.
Pour remotiver les citoyens européens, pour « réenchanter l’Europe »,
Quelle idée de l’Europe voulez-nous soutenir ? Une Europe fédérale ? Une Europe des nations ?
Le débat ne se pose plus comme au début des années 1960.
Il y avait six pays à cette époque.
En changeant de dimension, l’Europe a changé de modèle.
Cette zone euro doit prendre une dimension politique.
Une réunion mensuelle des chefs d’Etat et de gouvernement de cette zone.
Finissons-en avec ces sommets soit-disant de la dernière chance, ces réunions historiques, ces rendez-vous exceptionnels.
L’Europe ne peut plus être en retard.
Le Conseil de la zone euro permettra de mieux coordonner la politique économique et la convergence fiscale. Ensuite, il y a cette Europe des Vingt-Sept / Vingt-Huit bientôt et demain davantage.
C’est un espace politique de solidarité, un grand marché, une volonté de convergence économique, sociale, culturelle.
La France défend « l’intégration solidaire ». L’union bancaire qui conduit à une supervision, dont la banque centrale européenne sera l’organe permettra une résolution des crises avec une recapitalisation des banques. Cette solidarité ne pourra aller sans contrôle démocratique : l’union bancaire qui vise à maîtriser la finance sera une étape importante de l’intégration européenne. Mais cette fois avec des contre-parties et un contrôle démocratique.
Il y a quatre ans, les Etats s’étaient portés au secours des banques. Aujourd’hui, ils sont sous leur joug.
L’Europe paie son incapacité à admettre que la crise de 2008 n’est pas seulement un accident financier, mais c’est une crise du système, une crise de civilisation qui appelle des dirigeants charismatiques qui ont le courage d’agir sans se soucier des échéances électorales.
5,6 milliards d’euros. Cette somme pourrait financer des siècles de RSA, des milliers de postes d’enseignants, des centaines d’hôpitaux. Rien de tout cela. Ce chiffre ne restera dans l’Histoire que comme la perte réalisée par le trader Jérôme Kerviel en spéculant sur les marchés boursiers.
4,9 milliards. Cette somme représentait en 2009 l’ensemble de l’aide déboursée par le G8 pour lutter contre la faim dans les pays pauvres.
Au même moment, la banque américaine Goldman Sachs annonçait que ses employés partageaient 11 milliards de bonus, soit près de 750 000 dollars par personne.
L’épargne des pays émergents, asiatiques notamment, est détournée vers les grandes places financières. Ces fonds entretiennent d’année en année des bulles spéculatives, bulle des crédits subprime en 2006, bulle des matières premières en 2007, bulle des obligations d’Etat en 2009, bulle internet, crise globale en août 2011.
Au lieu d’accompagner le développement des pays émergents, les flux financiers internationaux se recyclent dans une économie de la spéculation dont le moteur est la cupidité exigeant des rendements à deux chiffres alors que la croissance de l’économie réelle stagne, il faut bien que quelqu’un paie ! Le monstre financier n’est jamais rassasié et il met à genoux les Etats qui l’ont renfloué et s’engraisse sans contreparties les difficultés de la Grèce aujourd’hui devraient être prises à bras-le-corps pour assainir le système financier européen et international.
Mais non, une nouvelle fois c’est un colmatage à court terme qui a été réalisé.
S’engager fermement sur la voie d’une relance économique commune avec la Banque européenne d’investissement autour de la croissance verte et la mutation écologique avec, par exemple :
⁃ Les transports propres et la voiture électrique qui, aujourd’hui, est à dimension franco-allemande. C’est la preuve que l’innovation européenne est à l’avant-garde.
⁃ La création d’un organisme public, une agence publique de notation. Il n’est plus acceptable que nous dépendions des agences privées de notation qui sont liées au capitalisme financier.
⁃ L’interdiction de la spéculation bancaire. Tout le monde la critique. Personne ne le fait. Les dirigeants l’ont décidé en 2008.
Ces décisions n’ont pas été suivies d’effet. Il est temps de passer aux actes, et des propositions très concrètes ont été faites pendant la campagne présidentielle. Elles consistent à rendre public le nom des banques et des fonds de pension qui ont spéculé sur la dette grecque et sur les assurances de la dette grecque. Et d’interdire les ventes à terme de titres que les banques ne possèdent pas.
Il faut briser ce cercle de la cupidité en encadrant les pratiques à risque des banques, en protégeant les clients des banques et en réorientant les forces des marchés financiers vers le financement de l’économie réelle.
La réforme bancaire doit être la première priorité. Faire la distinction entre les activités spéculatives et les activités d’investissement, prohiber les bonus individuels, interdire les paradis fiscaux.
Tout le monde le dit, personne ne le fait.
La finance doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une industrie des services financiers, au service de l’économie réelle, elle-même au service de l’emploi et du bien-être.
Nous ne sortirons pas de la crise dans le système actuel.
Il faut trouver une nouvelle voie.
Les propositions sont connues de tous.
Il faut avancer, c’est le sens de notre responsabilité politique.
Quelle est la plus grande menace qui pèse sur l’Europe ?
C’est de ne plus être aimée.
De n’être plus regardée au mieux que comme un guichet austère,où les uns viendraient chercher des fonds structurels, d’autres une politique agricole, un troisième un chèque, au pire comme une maison de redressement. A elle de donner du sens à son projet, mais aussi de l’efficacité à ses décisions. Et pourtant, l’Europe reste la plus belle aventure pour notre continent.
Elle est la première puissance économique du monde, un espace politique de référence, un modèle social et culturel.
Elle mérite un sursaut pour renouer avec l’espérance. Victor Hugo avait parlé, le premier des Etats-Unis d’Europe.
Je me suis exprimée, au nom des socialistes Français, en Afrique du Sud au Cap, le 1er septembre dernier en tant que Vice-Présidente de l’Internationale Socialiste.
Quelles solutions de gauche face à la crise ?
Qu’est-ce qui fait notre passion commune ?
Quel est le sens de notre engagement ?
S’il ne fallait retenir qu’une idée directrice, notre colonne vertébrale, notre repère majeur, c’est la certitude que la réduction des inégalités et des injustices n’est pas une conséquence de la croissance, c’en est une des conditions.
Ce n’est pas seulement une répartition juste des fruits de la croissance (quand il y en a) que la Gauche doit garantir, c’est changer le système et les priorités pour qu’au cœur même de la production, le respect du travail, des femmes et des hommes, leur dignité et leur juste rémunération, soit source de bien être et donc de productivité pour les entreprises.
Amartya Sen, le prix Nobel d’Economie, avec lequel j’ai eu l’occasion de dialoguer plusieurs fois, appelle cela la capabilité des travailleurs.
C’est pourquoi je propose, pour nourrir nos travaux et nos réflexions, 4 priorités qui correspondent à des actions très concrètes.
Nous devons porter la parole des « sans voix » pour qu’ils aient d’autres formes d’expression que la révolte quand ils sont à bout. Ce qui signifie concrètement que, lorsque la Gauche est au pouvoir, elle doit, en complément de la Démocratie parlementaire, inventer des formes de démocraties citoyennes participatives et garantir l’honnêteté du dialogue social, de la démocratie sociale.
L’éducation massive et la formation professionnelle permanente y compris avec les nouvelles technologies et le télé-enseignement, sont les leviers les plus efficaces du développement et de la croissance.
Les taxes sur les transactions financières et l’action des organisations financières internationales devraient être massivement consacrées à cet objectif.
Il y a trop de saupoudrage et de dispersions.
La protection de la famille et la reconnaissance du rôle des femmes, des mères isolées font partie de cette priorité éducative.
La mutation énergétique est impératif commun au Nord et au Sud vers les énergies renouvelables non polluantes. Les pays du Sud disposent d’une réserve inépuisable d’énergie gratuite : le soleil. Mais force est de constater que les investissements mondiaux ont été orientés vers les besoins et les choix énergétiques du Nord : les énergies fossiles polluantes et les modes de déplacement individuels qui asphyxient les villes en les deshumanisant. Il est urgent de changer de modèle énergétique. Par ailleurs, l’avenir sur l’énergie nucléaire doit être débattu de façon transparente et démocratique au niveau mondial.
Les flux financiers planétaires doivent être mis au service de la production. La finance doit cesser de commander mais doit obéir et se mettre au service de la hausse du niveau de vie et non se servir à elle-même.
Les banques publiques d’investissement doivent voir le jour dans tous les pays dirigés par la gauche.
La crise mondiale est venue d’un pouvoir financier exorbitant qui ne peut prospérer qu’en détruisant les valeurs humaines.
La mission de la Gauche, c’est d’inverser ce mécanisme et de mettre fin à la perversité de ce système pour remettre en avant les valeurs humaines.
Pour conclure, je veux rappeler, avec quelle détermination inflexible François Mitterrand a relancé la construction d’une Europe qu’il avait trouvée quasi-paralysée.
Il avait une conscience vive, très vive de ce qui risquait d’advenir si l’Europe échouait à protéger les siens et à peser dans le monde.
Son volontarisme européen et retenons cette histoire où aujourd’hui l’Europe est si faible, son volontarisme européen allait de pair avec une grande lucidité. Ses mises en garde sont plus actuelles que jamais.
Il connaissait la dimension tragique de l’histoire et savait qu’en période de crise les occasions gâchées débouchent vite sur les implosions dangereuses, voire sur des confrontations violentes. Une Europe déséquilibrée, livrée aux marchés sans être suffisamment politique et maîtresse des ses choix, trop timorée en matière de progrès social et de protection due à ses peuples s’exposerait, disait-il de manière prémonitoire à ce que « les travailleurs détournent la tête et leurs regards absents livrent la Communauté à la solitude des mourants ».
Nous y sommes, c’est leur dire le combat européen que nous avons à construire.
A trop tarder et trop tergiverser, l’Europe, prédisait-il, s’exposerait au réveil funeste des nationalistes et des xénophobies haineuses. A voir ce qu’il en est de l’Europe du moment, solidaire à reculons, mal-aimée des ses peuples, attaquée par les marchés financiers, en proie aux crispations identitaires et aux tentations de repli, comment ne pas être frappé par la force des avertissements de François Mitterrand ?
Regardons, comme lui, les choses en face. Le temps presse, raison de plus, non plus baisser les bras mais pour redonner à la France aujourd’hui les moyens de jouer dans le contexte d’aujourd’hui le rôle moteur que François Mitterrand voulut pour elle.
A nous de redonner les moyens de peser pour une autre Europe au service des ses peuples et de leur bien-être et non pas qui se fait contre eux. Telle est notre tâche, à nous, socialistes.